lundi 25 octobre 2010

Du sort

Après le meurtre de Jules César, en l'an 44 avant Jésus-Christ, aux Ides de Mars – au 15 des mois de mars, mai, juillet, octobre et au 13 des autres mois, les nones tombaient neuf jours plus tôt que les ides tandis que les "calendes" étaient le premier jour de chaque mois, un jour d'échéance (calare, appeler, proclamer, aussi une bonne façon de ne pas payer ses dettes était-elle de "renvoyer aux calendes grecques", car les Grecs n'avaient pas de calendes!), Cicéron se montre impatient d'entrer à nouveau en politique; il y gagnera d'être tué après avoir eu la main droite tranchée sur ordre de Marc-Antoine. On ignore le sort réservé à son secrétaire, Tyron, qui avait inventé des abréviations lui permettant d'écrire assez vite sous la dictée de Cicéron; ce n'était pas encore la sténographie mais, avec les caractères dits tyroniens, sans ressemblance avec aucune figure des langues usuelles, cela commençait à y ressembler.


 

On a pu dire du De Fato (du Sort ou du Destin), court traité vraisemblablement achevé en juin 44, qu'il mêlait les questions de divination et de prédestination, avec la part de fatalité inhérente à toute prédiction; dans son introduction au texte qui nous est parvenu dans un état très lacunaire, Albert Yon écrit: "Cicéron était pressé d'en finir avec une question [la divination] qui avait alors cessé de l'intéresser." Et, plus loin, "Cicéron n'est pas un philosophe de vocation; il ne s'est mis à écrire sur la philosophie qu'après avoir été exclu de la politique active par la dictature de César, et seulement sur le tard, en février 45", telle cette Consolatio rédigée après la mort de sa fille. La philosophie l'aura occupé moins de deux ans durant toute son existence.


 

Cicéron met donc fin un peu précipitamment à la vaste entreprise qu'il avait conçue de résumer "la pensée antique", selon les termes plus récents de Lucien Jerphagnon (par ailleurs et notamment éditeur de Saint-Augustin dans la Pléiade), une entreprise qui semble l'avoir vite lassé, au témoignage des fragments qui subsistent. Aussi, peut-on se demander si c'est par pure aberration ou simple inadvertance qu'il s'adresse et s'en prend à Chrysippe, auteur d'un ouvrage grec dont le titre équivaut à celui de Cicéron, , plutôt un destin annoncé par la parole, un oracle, avec l'idée de partage et d'attribution impliquée dans la notion de "lot" et de loterie, pour se moquer des épicuriens et condamner leur doctrine: cet atomisme qui fut d'abord une idée de philosophe dont Lucrèce apportera la principale illustration avec son De Natura Rerum, De la nature des choses, car Chrysippe n'est tout simplement pas un épicurien; en 1910, Emile Bréhier a fort bien résumé son enseignement. Pour Chrysippe, nos actions résultent de la rencontre d'une série de causes indépendantes mais imbriquées avec le libre-choix de notre volonté et de notre raison, l'individu étant considéré comme un tout irréductible et le hasard n'étant plus alors que le nom donné à un concours d'évènements.


 

Examen du clinamen dans la physique d'Epicure: la déclinaison de l'atome, son inflexion sous l'effet d'un mouvement sans cause. Voir page 24 (XX 46) de l'édition Guillaume Budé:

"Quelle est donc la cause nouvelle dans la nature qui fait dévier l'atome? Vont-ils tirer au sort [on parle à présent d'une amplitude de probabilité!] entre eux à qui déclinera ou non ? Ou pourquoi déclinent-ils de la quantité la plus petite, et non d'une plus grande ? Pourquoi d'une seule, et non de deux ou trois ? ..."

Aut num sortiuntur inter se quae declinet, quae non?

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